Bonjour à tous,
C'est ici à proprement parler le premier post que je crée sur ce forum, bien que je sois modérateur dans plusieurs catégories. Disons que j'attendais le bon moment... Pour commencer, va-t-on me dire, je ne poste pas là où l'on m'attend, je ne voudrais bien sûr nullement faire de l'ombre à notre ami Lambègue, qui est comme tout le monde ici sait notre spécialiste en matière de cinéma, mais je viens de regarder un film qui m'a particulièrement touché, et je me devais de faire partager mes réactions “à chaud”. Je disais donc que le cinéma, ce n'est pas là où l'on m'attend mais vous allez voir quand même que ce que je viens présenter reste très proche de ma “discipline de prédilection”, la littérature.
La tête en friche (
My afternoons with Margueritte pour le titre anglais) est un film de Jean Becker, tiré du roman homonyme de Marie-Sabine Roger, sorti en 2010 avec
Gérard Depardieu et
Gisèle Casadesus. Depardieu campe le personnage de Germain Chazes, un paysan quinquagénaire légèrement simple d'esprit. Rejeté par sa mère (Anne Le Guernec) plus occupée à se trouver un compagnon qu'à s'occuper de son enfant, il est ce qu'on pourrait appeler "un accident de parcours". Sa vie se règle autour de ses après-midi à s'occuper de son potager ou au bistrot du village, où il est moqué par ses amis qui le trouvent un peu bêta et ses soirées auprès d'Annette (Sophie Guillemin), sa copine conductrice de bus. De temps à autre, il griffonne aussi son nom sur le monument aux morts du village au grand dam du maire, comme pour laisser une trace dans ce petit monde... Enfant, humilié par ses camarades et son professeur (Régis Laspalès), il est quasiment illettré.
Un jour, lors d'une de ses nombreuses balades autour de la place publique à compter les pigeons, il rencontre une vieille dame très cultivée fraîchement débarquée dans la maison de retraite à la sortie de la ville, Margueritte, "avec deux t" (Gisèle Casadesus). Une amitié se noue assez vite entre cette dame presque au seuil de la mort, désireuse de transmettre son savoir et ce grand benêt de Germain. Elle lui fait ainsi découvrir
La peste de Camus,
La promesse de l'aube de Gary, Supervielle, Sepulveda en les lui lisant à voix haute, mais aussi le plaisir de s'évader et de voyager à travers les mots et les expressions dans un dictionnaire... Tout un monde des livres et des mots qui lui était jusqu'alors complètement imperméable, et qui bouleverse son rapport au monde, à la vie mais surtout son rapport à lui-même, alors que la sempiternelle menace des heures pèse sur cette amitié littéraire : atteinte de DMLA, Margueritte devient aveugle petit à petit...
On pourrait certes reprocher à Jean Becker de nous vendre du topos. Il est vrai que nous sommes ici dans ce type de film bien connu qu'est le film du passage de relais d'une génération à l'autre. C'est en effet bien la vieillesse qui est au coeur du film : " La vieillesse, c'est encombrant, surtout pour les autres. Enfin, le privilège de l'âge c'est que quand on s'ennuie, c'est plus pour très longtemps..." nous dit Margueritte. Bien sûr, la situation et les personnages sont légèrement stéréotypés, entre la mère un peu Thénardier, frustrée incapable de donner de l'amour à son enfant, et Germain, l'archétype du simplet-bêta-mais-gentil rejeté et moqué par tout le monde qui se métamorphose dans cet âge de transition par excellence qu'est la cinquantaine, en passant par Margueritte, la vieille dame au seuil de la mort qui cherche à passer le flambeau de sa culture.
Mais reprocher à quelqu'un, réalisateur ou écrivain de faire du cliché a-t-il vraiment un sens ? A fortiori lorsque le topos de la vieillesse est bien traité, doublé d'une réflexion il me semble particulièrement appropriée sur la littérature et les mots, puisque ceux-ci entretiennent un lien étroit avec le champ de la connaissance. Une connaissance justement si fragile, si précaire, qui peut disparaître avec les années, à l'image de la mère sénile de Germain. A fortiori aussi lorsque les acteurs réussissent par leur jeu à vous faire oublier le côté topique du film : Outre le couple Depardieu/Casadeus qui indéniablement fonctionne vraiment bien à l'écran - les deux acteurs réussissent à donner du relief à leurs personnages respectifs - , le film bénéficie d'une bonne distribution. On aura ainsi le plaisir de retrouver Maurane en patrone de bistrot, Laspalès en instituteur tyrannique ou François-Xavier Demaison sous les traits de l'amant de la mère de Germain.
Certes, bien sûr, je ne suis peut-être (sûrement) pas neutre, ceux qui me connaissent ici savent bien qu'un film proposant une réflexion sur le temps et sur les lettres possède d'emblée tous les ingrédients pour me plaire. Il n'empêche malgré tout que l'on se prend au jeu, on est touché par cette histoire d'amitié entre ces deux personnages, et l'excellent jeu du couple Depardieu/Casadeus tout empreint de tendresse y est certainement pour beaucoup. De bons acteurs, un synopsis touchant et fédérateur certes topique mais bien traité, tout cela nous donne une petite historiette teintée de philantropie à regarder en famille, pour s'évader, se revigorer et retrouver un peu foi en l'homme et en la vie. Il me semble qu'actuellement, on en a bien besoin...