Voici un jeu que je vous propose. L'idée est d'écrire collectivement un texte, en procédant chacun notre tour. Nous devrions poster des chapitres ou séquences tenant entre 500 et 700 mots : chaque séquence devra bien entendu rester en prose (nous changerons peut être de style par la suite, mais pour ce premier texte restons en à la prose). Chaque séquence devra aussi faire avancer l'intrigue, bref servir à quelque chose. Ceci dit, tout est dit, voici la première séquence.
Oh et : oui c'est peut être pas le plus simple pour réagir, mais je vous emmerde.
La vie d'Eric Leval était, aux yeux de la population qui le connaissait, des plus normales. Même en cherchant bien, on ne pouvait trouver quoi que ce soit d'anormal, quoi que ce soit qui sorte des standards établis par la société. Une recherche aussi infructueuse que déprimante, car on ne pouvait donc chez cet homme distinguer quoi que ce soit qui lui construise une personnalité réelle, et l'ennui qu'il dégageait irrémédiablement l'avait amenée à cette situation sociale, ou sans jamais être détesté, il n'avait pas non plus le moindre ami, ou la moindre possibilité d'amitié : bien sur, son métier le conduisait à avoir beaucoup de « relations » (de ces relations dont on devine à l'usage des guillemets qu'elles sont influentes), mais malgré son carnet d'adresses aussi rempli que l'agenda des prostituées de luxe qu'il n'avait pas la vulgarité de fréquenter, c'était un homme désespérément seul.
Pour un homme parfaitement seul et fade, certaines situations inhabituelles aux yeux de tous deviennent encore plus inhabituelle, voir appeurantes. Ainsi, quand ce soir de Novembre, il rentra chez lui et constata la présence d'un inconnu, assis sur son canapé, et lisant distraitement son Proust, il eut un mouvement de recul, eut peur de s'être trompé d'appartement, puis réalisa que le portrait de sa mère était bien affiché au dessus de la cheminée. L'inconnu quitta des yeux son ouvrage, pour lequel il ne semblait pas se passionner, pensa Eric.
« Bien sur que non, je ne me passionne pas pour Proust. Personne ne se passionne pour Proust, il y en a qui l'avouent plus facilement que d'autres, c'est tout. »
En tant qu'homme normal, Eric n'avait jamais eu la moindre arme chez lui. En tant qu'homme sans histoire, il se dépêcha d'effacer ses souhaits violents de son esprit.
« Si tu veux, Eric, je peux t'en donner un, de couteau. Je dois avoir ça sous la main...Viens t'asseoir, allez, tu es chez toi, après tout. »
On avait toujours appris à Eric à obéir aux gens imposants. Or, la cravate et le costume de l'inconnu étaient tout ce qu'il y avait de plus imposant, et il dégageait cette aura étrange de pouvoir qu'ont certaines personnes, juste un peu moins banales que Leval, mais tout aussi infréquentables. Absurdement, donc, Eric alla s'asseoir, sur une chaise des plus banales, héritage des plus banals d'une mère des plus banales morte dans une banalité désespérante dans la banlieue la plus banale que vous pourriez trouver dans une ville parfaitement banale.
Et, puisqu'il était constant, il posa la question la plus banale, cette fois ci relativement censée d'ailleurs :
« Qui êtes vous ? »
Dans un mouvement visiblement habile, l'homme balança l'intégrale de Proust dans la corbeille à papier, ou elle tomba avec un « Bang » sonore. Eric voulut faire un mouvement pour aller rechercher le précieux ouvrage, mais on ne quitte pas un homme qui veut vous parler. Enfin, sauf si cet homme vous manque de respect : chacun est libre de juger si le jet dans une poubelle de l'œuvre d'un des artistes les plus banalement connus et unanimement ennuyants du vingtième siècle était un manque de respect méritant de manquer soi même de respect un inconnu s'étant installé dans votre salon et, à la réflexion, buvant votre jus hyper vitaminé mélangé avec son rhum (car vous n'en avez pas vous même).
Bref, le temps que cette réflexion intense se développe dans la tête d'Eric (un temps bien plus court que celui que vous avez pris pour lire le dernier paragraphe, mais un temps plus long que le temps de réponse de l'inconnu, donc un temps situé entre la microsecondes et la minute, pour les plus lents d'entre vous), l'inconnu avait commencé à parler :
« Je suis votre Faucheur Personnalisé. Je viens pour voir si vous méritez de vivre. Enchanté de vous rencontrer, un whisky ? »