Avertissement : tous les strips mis en exemple dans cette page (il y en a pas mal, et encore je me suis contrôlé) sont en anglais. Si vous voulez une traduction, demandez, je m'en occuperais. Le deux octobre 1950, le jeune dessinateur Charles M. Schulz (28 ans à l'époque) publie, dans huit journaux américains, le premier strip des Peanuts. Cette série est dérivée d'un de ses précédents projets, appelé Li'l folks. Ce strip en quatre cases est le premier d'une série de 17897 strips, publiés de manière quotidienne sous le format quatre cases en semaine (changement à ce niveau la vers la fin des années 80), et une demi page le dimanche dès Janvier 1952. La série ne s'arrête donc que cinquante ans plus tard, le 13 février 2000 : c'est d'ailleurs le lendemain de la mort de l'auteur, chaque strip étant dessiné plusieurs jours avant sa publication. Pendant tout ce temps, Schulz s'occupa seul de l'écriture, du dessin, de l'encrage et du lettrage. A la fin de la série, elle était publiée dans plus de 2600 journaux. C'est donc bien d'un phénomène mondial énorme qu'il s'agit, et encore aujourd'hui, le succès des peanuts est indéniable.
Le premier strip en question. Peanuts suit la vie de plusieurs enfants et animaux, de plus en plus nombreux au fur et à mesure du temps, chacun ayant une personnalité assez développée : c'est d'ailleurs probablement pour ça que l'auteur a pu continuer si longtemps sa série en conservant un humour toujours aussi optimal. C'est aussi grâce à cela que l'on s'attache facilement aux personnages, dès leurs premières apparitions : d'ailleurs certains sont devenus cultes, à commencer par Charlie Brown, gamin malchanceux, ambitieux mais peu talentueux, et Snoopy, son chien à l'imagination débordante et au caractère assez exigeant. Mais il y en a bien d'autres que l'on connait assez bien, que ce soit Lucy Van Pelt, ses frères Linus et Rerun (très tardif dans la série), l'oiseau Woodstock, le poussiéreux Pig Pen...Bref si on y regarde, Peanuts propose un des choix les plus larges de personnages dans l'histoire du comic strip, loin devant d'autres classiques tels Calvin et Hobbes, Mafalda ou Garfield. Et tous restent dans la mémoire du lecteur...Et chacun a de quoi être hilarant, le petit Linus philosophe mais se sentant trop peu en sécurité pour abandonner sa couverture, sa soeur dominatrice et manipulatrice de génie, Sally Brown, gamine intelligente mais développant une phobie et de l'école, et des dates en général, et la liste pourrait continuer bien longtemps, car vraiment, le choix de personnage est exceptionnellement large, surtout si on compte aussi les primitifs, qui ont disparu au bout de quelques années de série (Shermy et Patty, principalement). En ce qui me concerne, mon favori reste le petit virtuose Schroder : artiste jusqu'à l'enfermement, réussissant à tout jouer sur son minuscule piano jouet, acide et vouant un culte à Beethoven.
Oui, un VRAI culte.Linus et la philosophie de la couverture de sécurité ; imparable.Sans aller jusqu'à le qualifier de dépressif, Charlie Brown manque tout de même fâcheusement de positivisme.Snoopy écrivain. Toute une affaire de best sellers en devenir. Les personnages dans l'ensemble gardent le même âge au cours de la série, à l'exception de ceux que l'on connais très petit, que l'on voit alors grandir pendant quelques années de publication, avant qu'ils ne se stabilisent à un âge souvent inférieur à neuf ans. On peut citer Linus que l'on voit naître et qui sera à peine plus jeune que sa sœur quelques temps plus tard (il commencera, en sachant parler, à développer son talent pour une philosophie étrange et discutable de la vie, souvent assénée à un Charlie Brown dépressif), ou Schroeder qu'on découvre avant qu'il ne devienne un génie du piano. Avant même qu'il ne sache parler, d'ailleurs, ce qui donne tout une série de gags dans ses débuts de pianistes ou il interprète de fabuleuses partitions dont il est pourtant incapable de lire le titre.
En voyant cela on peut d'ailleurs s'interroger sur le titre de la série, qui a l'air complétement hors de propos : l'explication est simple, Schulz voulait conserver le titre Li'l Folks, mais celui ci était à l'époque trop proche d'autres titres de comic strips, c'est pourquoi on lui a imposé peanuts, qu'il a toujours détesté. Quelques années plus tard, il parviendra à faire modifier le texte présent sur les strips du dimanche, qui deviendra donc « Peanuts, featuring good Ol' Charlie Brown. » Vous pourrez aussi remarquer que les recueils des strips sont très rarement intitulés Peanuts : on les trouve souvent sous le titre « Snoopy », ou éventuellement « Charlie Brown ». On peut comprendre cette haine envers ce titre, déjà par ce qu'il est absurde, mais surtout par ce qu'il a été longtemps confondu avec le nom de Charlie Brown.
Exemple de strip du dimanche, avec le "featuring" ajouté. La série se dégage par plusieurs caractéristiques propres : la première, une des plus marquantes, est qu'elle présente l'univers des enfants (et d'ailleurs des animaux, les deux se rapprochant de plus en plus au fur et à mesure de la série) comme globalement cruel. Les personnages n'ont aucun scrupules à être méchants les uns envers les autres, et se méprisent autant qu'ils s'apprécient. Il n'y a qu'à regarder les insultes qui accablent Charlie Brown à chaque nouveau match de baseball perdu, ou l'agacement de Schroder dès que Lucy s'accoude à son mini piano. Mais effectivement, il est indéniable que ces personnages s'entendent bien, car jamais ils n'essaient de réellement faire changer la situation. Même Snoopy reste le chien de Charlie Brown malgré tout le mépris qu'il semble le plus souvent ressentir pour ce dernier.
Ensuite, l'humour de répétition est très présent dans Peanuts : certaines situations reviennent très fréquement, et les gags sont alors de petites variations de chutes. Je trouve que ça en devient d'autant plus hilarant, et c'est pour moi une des qualités principales de cette série. L'exemple le plus évident est peut être le gag du ballon de football, revenant une fois par an, en dimanche, à la même époque (septembre, octobre ou novembre) : systématiquement Lucy propose à Charlie Brown de shooter dans un ballon qu'elle tient, et systématiquement elle enlève le ballon au dernier moment, faisant tomber sa victime. Au bout de la troisième apparition de ce strip maximum, on sait déjà comment il va finir, et pourtant Schulz parvient à nous amuser des arguments de Lucy, de la réticence de Charlie Brown, et de la chute finale. On pourrait citer bien d'autres situations récurrentes : les match de Base ball, Lucy essayant de faire du charme à Schroeder, les mésaventures scolaires de Peppermint Patty, Lucy psychologue, Linus et sa couverture de sécurité, Charlie Brown et ses cerf volants,Schroeder et l'anniversaire de Beethoven, la queue pour aller au cinéma, la conscience douteuse des dates de Sally Brown, la fête des pères, les repas de Snoopy, les colonies de vacances, Snoopy écrivain, as de la première guerre mondiale, dormant sur le toit de sa maison, chef scout pour oiseaux...Bref les situations familières sont légions, toute la série en devient donc familière et chaleureuse. Cela s'accompagne bien sur de nombreux gimmicks, dont le fameux « That's the way it goes », concluant la plupart des échecs de Charlie Brown.
Un des premiers, si ce n'est le premier "that's the way it goes" Le dessin est assez simple, voire minimaliste : Schulz ne représente que ce qui est nécessaire, et préfère laisser le lecteur imaginer lui même l'environnement complet autour de ses personnages. Encore une fois, je tiens à souligner son talent, car jamais nous n'avons en lisant Peanuts une impression de manque ou de vide : sa force de suggestion est assez extraordinaire. Le plus souvent le point de vue reste à hauteur des enfants, et donc assez bas, ce qui explique le nombre très réduit de plans large dans ce comics.
Ajoutons à cela que Peanuts n'a jamais représenté d'adultes, mis à part en tant que silhouette dans un strip du dimanche (de la fin des années 50, je crois). On entend bien quelques voix en off dans les premières années, mais elles disparaissent assez vite, pour ne laisser la place qu'aux enfants et animaux.
Et au fond, un adulte aurait paru un peu déplacé dans un monde ou les chiens veulent devenir génies littéraires, et doivent lutter sans cesse contre le terrible Baron Rouge, aviateur aussi génial que maléfique.
Un bien brave aviateur. Comme plusieurs comic strips a succès, Peanuts a connu une adaptation en dessin animé, à travers une quarantaine de « Tv specials » : chacun étant fait avec application, et sur tous ceux avant la mort de Schulz sous la surveillance de celui ci, ils sont d'une grande qualité, drôles et beaux, tout en conservant l'esprit de la bande dessinée d'origine. Une réussite, ce qui est assez rare pour être souligné.
Le premier strip incluant Charlie Brown, Lucy et le ballon. Vous remarquerez que Lucy n'avait alors pas atteint son âge définitif de la série ; on l'a connue très jeune, alors que Charlie Brown s'occupait de son éducation et qu'elle faisait encore preuve d'un fort respect envers lui. En conclusion, Peanuts est un de ces comics à l'univers extraordinairement dense, et par conséquent destiné à rester dans le panthéon de la bande dessinée. Certains y préféreront le globalement plus immédiatement drôle, et plus moderne Calvin et Hobbes : d'autres encore préféreront le moins fin, et plus symbolique de l'amérique du présent Garfield : d'autres enfin diront que rien ne vaut Mafalda et son acerbe critique sociale. Mais quand bien même j'adore ces trois autres comic strips, pour moi, ils n'arrivent pas à égaler Peanuts, sous aucun point.
Encore une tentative manquée de Lucy. A noter qu'elle ne se laisse ainsi et aussi souvent dominer que par Schroeder, même si son frère Linus aura régulièrement l'occasion de prendre sa revanche sur sa soeur dominatrice.
Et puis tenez, une dernière, pour le plaisir. La bd a connu plusieurs éditions, en français pendant longtemps la plus complète fut celle de Dargaud, qui reprenait les strips par thèmes, et non chronologiquement, en omettant donc une partie et en publiant certains en double. Edition en couleur, personnellement je trouve ça plus que dispensable, mais certains préférerons. Je conseillerais l'édition encore en cours de publication de l'intégrale (chez Fantagraphic en anglais, repris par Dargaud en français), intitulée « Snoopy et les peanuts, l'intégrale ». La publication est chronologique, en noir et blanc, dans une qualité d'impression optimale, et les livres sont de vraiment très beaux objets.
Un volume de la très classe édition fantagraphicLe dernier strip, publié le lendemain de la mort de Schulz. "All the rest is silence".Rédigé par Lambègue.