Pour cette première critique, je traiterais d'un grand classique du cinéma d'animation Japonais : Le Voyage de Chihiro, de Hayao Miyasaki.
Le film est sorti en salle en 2001, après une période de vingt mois de réalisation : ce chiffre en lui même est indicateur de l'aspect super production qu'était le voyage de Chihiro, cette durée étant particulièrement large par rapport à la moyenne pour de tels films d'animation. Les studios Ghibli étaient alors adulés au japon, et même dans le reste du monde, même si leur notoriété allait encore s'accroître au fil des années : et Miyasaki faisait déjà partie des réalisateurs considérés comme incontournable. Il n'est donc pas étonnant de constater que ce film est la plus grosse réussite commerciale des studios Ghibli, et a battu un record au box office japonais. Et il faut avouer que ce succès est largement mérité.
Le film nous conte l'histoire d'une jeune fille, Chihiro, en voyage avec ses parents pour un déménagement : ceux ci aperçoivent un vieux parc d'attractions abandonné, et décident d'y entrer, malgré les réticences de la fillette. Après avoir mangé de la nourriture présente à profusion, ils se verront transformés en cochon, laissant la fillette seule et désespérée. Celle ci sera entrainée par un garçon nommé Haru dans le monde des esprits, plus précisément dans une sorte de grand hôtel géré par Yubaba, une sorcière autoritaire et ma foi psychologiquement instable.
Le film nous contera alors le voyage de la jeune fille à travers ce bâtiment et le monde des divinités afin de retrouver ses parents, et de se libérer de cet univers étrange, merveilleux et aussi attirant que terrifiant ou elle se trouve enfermée.
Chihiro, lors de ses aventures dans le Monde des Esprits.Le film narrant les histoires d'une fillette de dix ans, il jouera sur ce qui pourrait constituer les peurs, les joies, et toute l'étendue des émotions d'une telle fillette. A première vue, on pourrait donc se demander ce qui est au final si universel dans le Voyage de Chihiro : c'est probablement que la compréhension de l'imaginaire enfantin y est tellement pleine et évidente qu'elle éveille en nous l'enfant qui sommeille. Ca peut paraître une imbécillité cliché psychologique, mais ce film nous fait réellement retomber en enfance, et on se surprendra à rêver, à rire, à s'attrister et à s'inquiéter en même temps que l'héroïne au cours du métrage. Après Princesse Mononoké et Porco Rosso, adressés à un public plus adulte, Miyasaki revient au film pour enfant, dans son sens le plus noble et le plus universel : je pense que le talent d'évocation de Chihiro sur chacun est au moins aussi fort que l'était celui de Totoro, treize ans auparavant.
Le monde des esprits, principalement centré sur l'hôtel thermal de Yubaba, et ses étranges habitants.Ce qui frappe peut être le plus immédiatement dans ce film, c'est l'incroyable richesse visuelle, qui s'exprime à chaque instant : le moindre décor est travaillé jusque dans les plus petits détails, prenant un naturel impressionnant, et vivant en partie par eux même. L'hôtel de Yubaba en est l'illustration parfaite, il nous est montré avec tellement de naturel et de plaisir que nous avons l'impression de l'avoir complétement visité, tout en ayant parfaitement conscience de son immensité, et de ses secrets non révélés.
Cette inventivité se manifeste aussi dans les personnages du monde des esprits (quasiment tous les personnages du films, exceptés Chihiro et ses parents) : nous pouvons citer évidement Yubaba, son bébé géant (Bou), le Sans Visage, et le vieux Kamaji : mais chacun des personnages aperçus est un petit bijou d'inventivité, même s'il n'est présent que pour quelques plans, en fond. Chacun provoque une réaction, et cette foule étrange participe au rêve immense qu'est le Voyage de Chihiro. Nous noterons aussi la présence des Noiraudes, dans la chaudière : créatures adorables et selon moi hilarantes qui rappelleront au connaisseur Mon Voisin Totoro : les créatures impressionneront tout autant Chihiro qu'elles impressionnaient les deux sœurs dans Totoro, ce qui prouve que l'imaginaire, au fond, n'a pas tant changé au cours de ces treize années.
Yubaba, pas aussi méchante que ce que l'on pourrait croire d'abord...Les personnages, au dela de leur inventivité graphique, se révèlent pour la plupart d'une grande profondeur : bien sur, Chihiro vit une quête initiatique dans toute sa splendeur, mais ceux qui l'entourent sont pour la plupart fort creusés : Haku, Yubaba, le Sans Visage et Lin prendront de plus en plus d'ampleur au fil du récit, révélant des aspects de prime abord dissimulés de leur personnalité, acquérant ainsi une légitimité dans le film assez rare dans les animes pour enfants.
Comme ce film nous narre un voyage, un voyage dans un monde inconnu, il ne nous donne presque pas de repères, de points fixes sur lesquels on puisse se reposer : il apparaît fort difficile de classer qui que ce soit dans une catégorie, et le plus souvent l'inquiétant se fait rassurant, ou inversement : le Sans visage et son cannibalisme, Yubaba et sa gentille soeur jumelle, Okusare-sama et son nettoyage, l'imposant puis presque paternaliste Kasaji. Chacun a perdu ses repères, en cherche de nouveaux, et rêve d'une fixation que seule Zeniba semble avoir trouvée.
Le sans visage, tour à tour rassurant, émouvant et terrifiant.Autour de la quête de Chihiro, nous verrons donc les quêtes de tous ces autres personnages : celle, égoïste, d'un Yubaba qui tient au final plus que tout à son fils, mise face à la tranquillité trouvée par sa sœur : celle du Sans Visage dont l'appétit débordant le rend inapte à se faire aimer : celle d'Haku pour retrouver son nom, et se libérer du joug de Yubaba. Et celle du vieux Kasaji, qui est de faire tourner son monde à la perfection, sacrifiant sa vie pour son travail (une image de Miyasaki ?). Au final, chacun recherche son identité. Le réalisateur, subtilement, nous fait comprendre que la perte de cette identité est la perte de soi, une sorte d'asservissement : c'est le sortilège de Yubaba par le vol des noms.
Outre une invitation au rêve et une replongée en enfance, le Voyage de Chihiro ne manque pas de faire passer plusieurs messages, dont celui récurent chez son réalisateur de l'écologie : déjà à travers le Dieu Putride, qui n'est ainsi que par ce qu'il est souillé intérieurement, et ne parvient pas à se défaire de lui même de la crasse qu'il a amassé. Mais aussi à travers le final : la rivière a disparu, Haku ne peut se réfugier plus que dans l'errance, ce qui met en question, très fortement, une rencontre future avec Chihiro (on a aussi de nombreuses relations d'amour ou d'amitié très forte qui se terminent ainsi chez Miyasaki : Nausicaa et Asbel dans le manga, Porco Rosso et Gina, San et Ashitaka : un certain renoncement au rêve, plus ou moins brutal, plus ou moins cynique, car la réalité finit toujours par dominer).
Mais aussi à mes yeux un message sur la société de consommation à travers le cannibalisme destructeur du sans visage : il mange, sans considération, sans en avoir besoin, en étant toujours triste : et la paix qu'il trouvera finalement sera sans cet appétit excessif. Cela s'illustre aussi à travers Yubaba qui, obsédée par ses stations thermales, est destinée à ne jamais trouver sa tranquillité.
C'est par ce que la diffusion de ces messages est assez discrète qu'elle est redoutablement efficace, plus même que dans Princesse Mononoke : le final de Chihiro me touche d'ailleurs bien plus, et le film globalement me fait me questionner d'une façon plus approfondie. Les qualités de Mononoke sont autres, par Chihiro, Miyasaki livre son film le plus réfléchi à ce jour.
Haku, esprit perdu de la rivière Hohaku, qui développera avec Chihiro un lien entre amitié et amour enfantin.Musicalement, Miyasaki appelle à nouveau son compositeur fidèle, Joe Hisaishi : comme à son habitude, celui ci livre une partition discrète, toute en subtilité, épousant à merveille la moindre ambiance du film, aux thèmes envoutant, au déroulement superbe. Si je dois en parler plus amplement, ce ne sera pas la, mais je vous conseille l'écoute isolée de cette BO, c'est un grand moment musical. Et ce jusqu'au générique de fin, avec cette chanson dont les paroles résument tout l'esprit du film en quelques mots, et dont la musique berce doucement, nous laissant un souvenir final fantastique du film. Pour cela, il serait indigne d'arrêter le visionnement du voyage de Chihiro avant la fin de son générique.
The sixth station, une des pistes de cette très belle OST.Pour le doublage, comme toujours, je conseillerais le japonais ; déjà par ce que la langue colle bien plus à l'ambiance du film, malgré toute son universalité, Chihiro est en effet rempli de références à la culture japonaise (les esprits et les décors, majoritairement) : ensuite, par ce que comme toujours pour les studios Ghibli, ce doublage est d'une qualité exceptionnelle, et retranscrit parfaitement chaque intention, chaque sentiment des personnages.
L'hôtel thermal de Yubaba, superbe de précision et d'imagination.Voyez le, revoyez le. Après tout...
Rêvons toujours les mêmes rêves aimésRédaction et choix illustration : Lambègue